mardi 1 mai 2012

A Juana, Musset


A Juana

O ciel ! je vous revois, madame,
De tous les amours de mon âme
Vous le plus tendre et le premier.
Vous souvient-il de notre histoire ?
Moi, j’en ai gardé la mémoire :
C’était, je crois, l’été dernier.
Ah ! marquise, quand on y pense,
Ce temps qu’en folie on dépense,
Comme il nous échappe et nous fuit !
Sais-tu bien, ma vieille maîtresse,
Qu’à l’hiver, sans qu’il y paraisse,
J’aurai vingt ans, et toi dix-huit ?
Eh bien ! m’amour, sans flatterie,
Si ma rose est un peu pâlie,
Elle a conservé sa beauté.
Enfant ! jamais tête espagnole
Ne fut si belle, ni si folle.
Te souviens-tu de cet été ?
De nos soirs, de notre querelle ?
Tu me donnas, je me rappelle,
Ton collier d’or pour m’apaiser,
Et pendant trois nuits, que je meure,
Je m’éveillai tous les quarts d’heure,
Pour le voir et pour le baiser.
Et ta duègne, ô duègne damnée !
Et la diabolique journée
Où tu pensas faire mourir,
O ma perle d’Andalousie,
Ton vieux mari de jalousie,
Et ton jeune amant de plaisir !

  Ah ! prenez-y garde, marquise,
  Cet amour-là, quoi qu’on en dise,
  Se retrouvera quelque jour.
  Quand un cœur vous a contenue,
  Juana, la place est devenue
  Trop vaste pour un autre amour.
  Mais que dis-je ? ainsi va le monde.
  Comment lutterais-je avec l’onde
  Dont les flots ne reculent pas ?
  Ferme tes yeux, tes bras, ton âme ;
  Adieu, ma vie, adieu, madame,
  Ainsi va le monde ici-bas.
  Le temps emporte sur son aile
  Et le printemps et l’hirondelle,
  Et la vie et les jours perdus ;
  Tout s’en va comme la fumée,
  L’espérance et la renommée,
  Et moi qui vous ai tant aimée,
  Et toi qui ne t’en souviens plus !






 Alfred de Musset
-Ce poème parle d’une passion d’un été entre de Musset et Juana une marquise espagnole, il raconte un amour impossible et défendu ce qui s’inscrit parfaitement de le courant romantique car il est dramatique dans le sens où les seules véritables passions sont impossibles et vouées a l’échec.
Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Premières poésies) 1829-1835.

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